La course aux homards aux Îles-de-la-Madeleine. Pratiques locales dans un espace mondialisé.
La mise à l'eau
« La mise à l’eau des cages à homard » est un rituel qui a pris de plus en plus d’ampleur aux Îles-de-la-Madeleine (Québec, Canada) ces dernières décennies.
Le public, les familles et un feu d’artifice accompagnent au bout du quai le lancement de la saison de la pêche au homard, sur laquelle repose en grande partie l’économie de cet archipel, situé dans le golfe du Saint Laurent. Sur l’île de Grande Entrée, la quasi-totalité des habitants vit de l’économie du homard. Le départ est donné à cinq heures du matin par le Ministère Pêches et Océans dans les huit ports des îles. Les bateaux poussent des coudes pour aller installer leurs cages aux meilleurs emplacements - et de préférence ceux de l’année dernière - dans des récifs rocheux qui constituent l’habitat préférentiel du homard entre la côte et jusqu’à environ 20 milles nautiques au large. C’est en huit semaines uniquement que les capitaines feront leur chiffre d’affaire permettant de vivre à l’année. Depuis cinq ans, chaque saison donne lieu à une « prise record ». Ce sentiment d’abondance est récent et structure les acteurs et projets sur le territoire. Mais elle représente également la fragilité des milieux.
C’est en effet grâce au réchauffement des eaux du Golfe, conséquence des changements environnementaux globaux, que le homard peuple de plus en plus les eaux canadiennes et transforme avec lui les espaces sociaux marins et littoraux.
Une économie florissante
Dès fin avril, les îles sont en « effervescence » et les paysages se transforment : ils se remplissent des outils de la pêche qui occupent désormais tout l’espace, physique et social dans l’archipel. Les nouvelles de la radio locale ne parlent que de la date d’ouverture de la pêche, toujours complexe à fixer et annoncée seulement quelques heures avant. Les 335 capitaines pêcheurs, les aides pêcheurs, les travailleurs d’usine et gestionnaires de port se tiennent prêts. Les quais sont chargés des « cages », confectionnées en bois dès l’automne par les pêcheurs, bien souvent sans emploi durant la saison froide. Elles sont entassées auprès des maisons, sous la neige l’hiver. Les lagunes, espace entre deux îles et habituellement vides, se retrouvent habitées par les nouvelles cages, « mises à tremper », pour « prendre le goût de l’eau », et ainsi attirer davantage les homards. Les cages, 273 autorisées par bateau, les bouées et les cordes remplissent les ports, les quais et les bateaux, chargés jusqu’au maximum. Les techniques restent très artisanales, malgré l’importance des montants financiers qui circulera durant la saison entre pêcheurs, acheteurs et industriels.
De la bouette asiatique pour pêcher du homard madelinot
Les cages à homard aux Îles-de-la-Madeleine sont chargées de « bouette », chaque matin, à chaque remontée. Mais la surpêche et le réchauffement de l’eau ont décimé les stocks de poissons d’appâts dans la région. Les harengs et les maquereaux sont devenus si rares dans le golfe que les pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine utilisent maintenant en très grande majorité des appâts provenant de l’Asie et de l’Océanie. En quelques années, le marché des appâts pour la pêche s’est globalisé et les prix ont flambé.
Des questions éthiques se posent également : les poissons de la bouette, utilisés entièrement, plusieurs milliers de tonnes par an, pourraient être destiné à la consommation humaine. Des projets de recherche et développement se mettent en place aux Iles-de-la-Madeleine pour privilégier l’utilisation de résidus des pêches, en développant des tests de goûts et d’odeurs, dans une approche dite d’économie circulaire.
Serie photo issue d'un terrain de recherche réalisé entre 2019 et 2020 durant cinq mois aux îles-de-la-Madeleine dans le golfe du Saint-Laurent (Canada)
Photos sélectionnées pour l'exposition itinérante Regards de pêches du RésEAUX (Réseau d'Études et d'Échanges en Sciences Sociales sur l'Eau)
Accrochages: Université de Nanterre (2022), Université de Rennes2 (2023)